« Walker, first pursuit », vidéo, diffusion boucle


Français / English

J’ai poursuivi à mon arrivée à Belgrade fin 2007 cette observation du monde par l’installation de mon « dispositif circulaire ». Captation du flux urbain, fascination pour cette énergie et cette diversité humaine propres à une ville dont je ne connaissais rien, ni la langue, ni les gens, juste un peu l’histoire, si ravageuse, si ravageante. Mon appareil photo enregistrait, ma caméra tournait, témoins captivés.

De nomade, je suis devenu, pour la première fois, un sédentaire : j’ai trouvé une rue, une place, et m’y suis installé. Jour après jour. Et les images entraient. Au dérushage, surprise. Au milieu des passants, entre les silhouettes et les ombres, une figure, tenace, revient. Comme un personnage qui se serait invité sur mes images, que je n’avais pas repéré dans la vraie vie, et qui circule, inlassablement, d’un plan à l’autre. Je me surprends à le chercher du regard dans mes photos et mes films, puis reviens au réel : qui est-il donc ?

D’invité surprise, le walker est devenu force invitante. Je suis revenu à la rue, et me suis mis à le suivre. Au quotidien, il arpente cette artère piétonne et commerciale ultra-fréquentée de la Knez Mihaelova, formant des boucles à l’infini aux extrémités de la rue. Chaque jour. Un balancier. Une horloge urbaine, des heures durant. En début de journée, pimpant, en fin de journée, haletant. Au coeur de la vie des hommes, marcheur parmi les passants, un être invisible et pourtant si constant, en mouvement permanent, trace une trajectoire répétitive, martèle, rythme le flux. Je le cherche, ému toujours de le retrouver, étonné de ne pas le voir. Il est au coeur des foules, et pourtant s’en distingue absolument parce que sa marche échappe à la destination, aux obligations des autres, à l’inscription sociale. Le « Walker » marche en boucle et se suffit à lui-même. Dans la cohue, un repère ; dans le désordre, la permanence. Nouvel déclinaison de l’ermite : le marcheur solitaire et immergé dans la vie des autres me conduit à regarder autrement les habitants de la ville. C’est lui le révélateur révélé. Et je me mets à voir, tout autour de lui, d’autres saxifrages qui à leur tour racontent une histoire qui leur est propre, qui ouvre une fissure dans la ville et qui dit l’existence de terrains libres.

Le « Walker » m’a fait entrer dans la ville. Je ne sais s’il est fantôme ou légende, fou ou sage, suprêmement conscient ou perdu dans un vaste cataclysme intérieur. Il a déplacé mon regard vers lui, vers la fissure du temps et de l’espace, vers le surgissement d’êtres inattendus, et c’est toute ma recherche qui s’en est trouvée transformée.

Benoit Pierre

Français / English

When I settled down in Belgrade in late 2007, I pursued this observation of the world via my « circular device » installation. Capturing the urban flow, being fascinated by the human energy and diversity of a city of which I knew nothing, neither its language nor its people, just some of its fierce and destructive history. My cameras recorded and filmed as if they were mesmerized witnesses.

After having been a nomad, I became sedentary for the first time : I found a street, a square and settled down there. Day after day. And the images came I. When I screened the takes, I had a surprise. Between the passers by, between the silhouettes and shadows, a tenacious figure kept coming back. Like an uninvited guest, a character that I had never noticed in real life, and who circulates relentlessly from one frame to another. I then realized that my gaze was starting to look for him, in my pictures and films, and then I came back to reality: so who was this?

The Walker. He who once was an uninvited guest, suddenly became a source of attraction. I went back to the street, and started following him. Daily, he roams along the Knez Mihaelova, an ultra-busy pedestrian and commercial street, forming endless loops at each end of the street. Every day. A pendulum. A human clock, for hours. Smart in the morning, panting at dusk. In the heart of people’s life, a walker among the passers by. An invisible yet constant creature, always on the move. Tracing a repetitive pattern, giving the beat, giving rythm to the flow. I looked for him, always touched to find him again, always surprised not to see him. He is at the heart of the crowds, but is completely apart because his path is not limited to a destination, to the obligations of others, to a social function. The “Walker” walks in loops and is self-sufficient. He is a landmark in the bustle, an island of stability in the midst of chaos. A new avatar of the hermit: a solitary wanderer, plunged in the life of others, leads me to see the cities inhabitants in a new way. He is the revealed revelatory. And I start seeing, all around him, other saxifrages, other nomadic plants who in turn start telling their own tale, opening breaches in a city, a tale that reveals the existence of free spaces.

The « Walker » introduced me into the heart of the city. I do not know if he is a phantom or a myth, a wise man or a fool, if he is supremely aware or lost in vast inner devastation. He shifted my gaze towards him, towards the crack of time and space, towards the sudden appearance of unexpected beings. And this transformed my research entirely.

Benoit Pierre

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Exposition « Just Sightseeing »
Son : Yannick Franck