« Dispositif circulaire 2 », vidéo, diffusion en boucle


Potentialités

Je souhaite ici, en me déplaçant avec ce dispositif circulaire, enregistrer ces réels qui nous entourent mais qui nous échappent. Modestement, je tente de regarder et d’écouter sans analyser, de comprendre sans commentaire, d’ouvrir une multiplicité de fenêtres autour de moi. C’est en adoptant partiellement dans un premier temps une posture très actuelle celle du « touriste » que je vais et je viens d’un endroit à un autre. C’est place San Marco à Venise, au Trocadéro à Paris, sur la Knjaz Mihajlova à Belgrade ou bien à l’autre bout du monde à quelques pas de la gare de Mahatsinjony à Madagascar que je décide de revenir obstinément à cette pratique circulaire : regarder autour de soi, prendre le temps, perdre du temps, se rendre disponible, laisser venir au lieu de prendre, s’imprégner et tenter de comprendre plutôt que de juger, éventuellement participer et puis aussi se laisser surprendre par un inattendu, sorte de fragment émergeant du banal mais enfin reconnu dans sa capacité à émouvoir.

Génèse du projet

C’est sans doute en arrivant à Madagascar en janvier 2005 que le projet trouve son origine. Dans le minibus qui nous amène à la tombée de la nuit de l’aéroport au centre de Tananarive, je suis pris d’une vision quasi hypnotique une sorte peut-être de « rêve éveillé », où, au rythme des marcheurs je me sens porté par ce qui m’entoure d’échoppe en échoppe jusqu’à cet hôtel suranné où nous étions logés. Les jours qui suivirent, je voulus réitérer l’expérience de cette arrivée. Je partis alors chaque soir sans but précis dans la ville. Chaque fois, je m’introduisais dans ces flux de marcheurs qui vont et viennent sans cesse du lever du jour jusque tard dans la soirée. Je marchais avec eux, au milieu d’eux, je me sentais bien. Je ne cherchais rien, j’errais dans ce nouvel inconnu comme on se déplace dans un rêve. Toutes les images, tous les sons, les émanations volatiles des corps qui me frôlaient, une légère brise, la pollution des vieux taxis cabossés retenaient mon attention et filaient sans que je puisse les retenir. Chaque chose avait de l’importance dans cette nouvelle façon d’être à moi-même. Tout me fascinait jusqu’à me perdre et je ne pouvais rien rejeter.
Alors j’ai cherché d’abord avec mon appareil photo à représenter cette nouvelle relation au monde qui naissait en moi. Il s’agissait pendant ces marches de s’arrêter un instant, parfois plus, et de tout photographier tout autour de moi. Un seul point de vue, un seul cadre ne pouvait me convenir. Il me fallait tout enregistrer de ce réel. Le saisir dans sa totalité en quelque sorte. C’est ainsi que je commençai les premières prises de vues à 360°.
De retour à La Réunion, j’assemblai les images en panoramique. Et déjà, l’horizontalité, les superpositions du montage firent apparaître non seulement l’épaisseur et la complexité du réel que je souhaitais représenter, mais aussi un phénomène qui allait déclancher en parallèle (ou en dialogue) le travail vidéo. Dans tous ces panoramiques, j’observais que le paysage ainsi reconstitué était respecté, donc vraisemblable mais qu’un même personnage, lui, pouvait se retrouver à plusieurs endroits de l’image. Cela m’intrigua beaucoup de pouvoir perturber le temps tout en respectant la cohérence de l’espace. Je rattachai cela, aussi à cette façon que l’on a d’associer en nous, surtout lorsque l’on se laisse aller à la rêverie, les images du passé avec celle du présent et même parfois avec des projections du futur.
Mes premiers essais réalisés sur l’île de La Réunion furent prometteurs, mais pas tout à fait satisfaisant. C’est place San Marco à Venise que le dispositif circulaire vidéo trouva son premier aboutissement. Le lieu, les gens, les pigeons, les chaises vides, ce qui se joue, la posture de “touriste” que j’adoptai avec le réglage de mon matériel, tout cela me semblait juste. Dans le mois qui suivit le premier montage fut fini. En décembre 2005, alors que je me rendis à Bruxelles pour le festival des laboratoires indépendants, je retrouvai Yannick Franck plus d’un an après notre première rencontre. Je lui montrai ce premier film.

Benoit Pierre

M’ayant initialement invité à prendre part à un autre projet, Benoit Pierre ne pensait pas développer de collaboration avec un autre artiste pour ses “dispositifs circulaires”, projet issu d’une démarche résolument personnelle, intimement liée à une expérience sensorielle très forte. Dès le moment où il me donna à voir une première vidéo à Bruxelles, je me sentis intrigué par cette méthode de captation du réel, qui ouvre énormément de possibilités plastiques, concerné par ce regard multiple, qui se refuse à se focaliser sur un point particulier comme pour souligner l’intérêt de chaque parcelle du monde physique. Le dense flux sonore produit par ce premier montage, fait de courts fragments successifs me semblait être une base de composition intéressante. Je lui proposais donc de créer une nouvelle bande son, en utilisant exclusivement ce matériau.

Yannick Franck

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Exposition « Autour »